Abbey Lincoln (1930-2010)

Triste nouvelle, une de plus pourrait-on ajouter pour les amateurs de jazz, si ces derniers n'étaient pas habitués à cette fatalité, l'une des dernières grandes voix, sinon la dernière grande voix noire du 20ème siècle vient de s'éteindre à 80 printemps passée, le 14 août dernier. Abbey Lincoln n'est plus.

Connue pour son engagement pour les droits civiques dans les années 60 aux côtés de son mari et mentor, le batteur de jazz Max Roach, participant aux premières manifestations contre la ségrégation, Abbey enregistra aussi plusieurs disques engagés tel son album solo Straight Ahead (1961) ou sur l'historique We Insist! Max Roach's Freedom Now Suite de Roach sorti l'année précédente. Blacklistée très rapidement par les labels américains désirant la cantonner dans un rôle de belle chanteuse aseptisée du fait de sa plastique avantageuse, il a fallu attendre la deuxième moitié des années 80 pour revoir celle qui fut, à juste titre, considérée comme la digne héritière de Billie "Lady Day" Holiday [1].
  
En guise d'humble hommage et en dépit des propos de la dame, celle-ci considérant son disque de 1961 comme son premier véritable disque, je reprendrai une ancienne chronique consacrée à son album précédent, Abbey is Blue, celui qui m'a fait découvrir cette grande dame.

Après des débuts alimentaires sans grande envergure où celle qui s'appelait encore Anna Marie Woolridge se voyait cantonner à des places sinon dévalorisantes, tout du moins, loin du potentiel qu'allait afficher la future Abbey Lincoln, soit des revues où l'on misait davantage sur son physique avantageux (sans toutefois trop afficher sa négritude), Anna Marie dut attendre 1956 pour enregistrer son premier disque solo son nouveau nom, Abbey Lincoln's Affair. Un album qui de l'aveu même de l'interprète est "convenu, florilège de chansons d'amour". Après ce premier album synonyme de recueils de bluette à l'image de la pochette de l'album et du sous-titre de l'album A Story of a Girl in Love, Abbey quitta le label Liberty pour rejoindre le prestigieux Riverside pour trois albums. Une fois encore, la maison de disque mise sur la plastique irréprochable de la demoiselle, mais à la différence du précédent disque, la chanteuse est entourée de musiciens talentueux tels Paul Chambers et Wynton Kelly (sideman et futur sideman de Miles Davis), le trompettiste Kenny Dorham, le saxophoniste Sonny Rollins... et Max Roach.

En 1959, sort son dernier album pour Riverside, Abbey is Blue, avec quasiment la même assise musicale, avec désormais le jeune souffleur Stanley Turrentine et le batteur de Miles Davis, Philly Joe Jones. Un disque dont le titre a le mérite d'annoncer la couleur, tout comme la pochette, les poses enjôleuses ont disparu, la mue prend forme, en attendant le définitif Straight Ahead. Non content de proposer la première version vocale du standard Afro Blue et d'autres classiques du répertoire tels que Softly, As in a Morning Sunrise, Lost in the Stars ou Come Sunday, Abbey is Blue contient la première composition d'Abbey Lincoln, l'annonciateur Let Up. Une voix et un chant à l'émotion brute, une subtilité et une conviction proche de celle de Billie Holiday, Abbey vit sa musique. Pour cela, il suffit d'écouter le poignant Brother, Where are you?

L'hommage de Thierry sur Jazz Blues & Co.

L'hommage de GT sur Music Lodge.


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[1] Retour inespéré coïncidant avec un hommage à Lady Day sur le sobrement intitulé Abbey Sings Billie (1987)

13 commentaires:

  1. honte sur moi, je ne la connaissais pas.
    cette vidéo est une parfaite synthèse du jazz que j'aime, chaque musicien et à la fois un solide soliste qui se fond ensuite dans le morceau et quelle voix, un bémol, c'est beaucoup trop court, où est-ce ton art du teasing ?

    j'ai beaucoup de retards à rattraper en jazz et vu que ma douce aime pas trops ça, bref sauras-tu me conseiller, à priori j'aime depuis tout petit:
    les 2 grandes sarah vaughan et ella fitzgerald, je connais moins bien billie (encore honte sur moi), j'apprécie beaucoup charlie parker, chet baker et miles davis. J'ai découvert ornette coleman avec la b.o. de naked lunch et suis resté sur le cul et puis il y a badalamenti aussi mais ma culture jazz est très pauvre même si j'apprécie cette musique je me rend compte que je suis très novice. En tout cas merci, la vidéo youtube en lien me fait un peu penser à certain morceaux d'harry belafonte pour leur côté engagé et caraïbéen

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  2. chaque musicien et à la fois un solide soliste

    il fallait lire est à la fois un solide soliste et un accompagnateur hors pair qui se fond...

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  3. "Abbey vit sa musique."
    --> Conclusion parfaite et symptomatique des époques.
    Celle d'Abbey, qui avait des choses à dire, à chanter.
    La nôtre, avec sa multitude de chanteuses de jazz nordiques (qui vivent de leur musique), non dénuées de talent, mais qui n'ont pas grand chose à exprimer.

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  4. @ Diane: c'est beaucoup trop court, où est-ce ton art du teasing
    Arf, je suis à découvert :-D

    Au passage, avant de répondre un peu plus en profondeur, tu soulignes qqch qu'on a tendance aujourd'hui à oublier, c'est l'engagement d'Harry Bellafonte qui allait bien au-delà de son image de crooner.
    Pour Billie Holiday, c'est bien simple, si ce n'est la plus grande, c'est bien celle qui chantait le plus avec ses tripes, il suffit d'écouter Strange Fruit.
    A ce propos, je ne saurais te conseiller ce site excellent qui propose en téléchargement gratuit nombre de chansons passées dans le domaine public: Jazz On Line.
    Pour le reste des conseils, on va voir ça par mail, et comme tu aimes les expériences sonores, pose aussi une oreille sur le Saint Esprit, Albert Ayler (suis justement en train d'écouter l'un de ses derniers concerts Aux nuits de la fondation... avant qu'on retrouve son cadavre dans l'East River quelques moins plus tard en novembre 1970...). Sinon c'est bien gentil, mais dans ta liste de débutant, je ne vois même pas Coltrane ^^

    @ Thierry: Tu parles de ces chanteuses qui jouent les vamps sur pochette de disque? ^^

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  5. En effet, on oublie souvent de préciser qu'Harry Belafonte a composé pas mal de protest songs et qu'il s'est battu pour les droits civiques.

    Et il est vrai aussi que c'est un peu ma faute qu'on écoute que très peu de jazz à la maison. J'ai été dégoûtée par un collègue assez envahissant qui ne passait que des disques de "jazz de restaurant" en centre de prêt. Et par d'autres collègues très intellos-chiants sur le sujet.

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  6. @ Sunalee: du jazz de restaurant :-D Kenny G powa!!!
    Vu votre amour pour les musiques orientales, je vous conseillerais la discographie de Yusef Lateef, le premier vériatable jazzman a avoir puisé dans cet héritage pour enrichir sa musique: Eastern Sounds, The Three Faces Of Yusef Lateef et par exemple The Golden Flute

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  7. diane cairn16/08/2010 13:56

    ben non tu ne verras pas coltrane parce que comme je l'ai dit je suis novice, c'est une musique que j'ecoute depuis longtemps mais sans m'y etre jamais plongé serieusement

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  8. @ Diane: Alors bon courage car rien que digérer l'œuvre coltranienne, ça va prendre du temps, mais ça en vaut la peine ;-)

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  9. diane cairn16/08/2010 16:23

    du courage... je crois que je vais prendre mon pied oui

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  10. Ma formation a commencé hier soir: j'aime beaucoup Abbey Lincoln et ce genre de jazz vocal. Ornette Coleman par contre a eu un peu plus de mal à passer...

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  11. @ Sunalee: Oui Ornette, qui plus est lorsqu'on débute en jazz, il vaut mieux commencer par... le début (oui bon...) et s'habituer lentement à sa "déconstruction". Enfin de toute façon, comme initiation, le père Coleman n'est sans doute pas ce qu'il y a de mieux. C'est comme si on proposait Ascension de Coltrane... roh la boucherie pour le néophyte surtout après écouté du jazz de restaurant: "nan mais vous êtes certain qu'il y a pas de juste milieu entre ces deux là" ;-D

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  12. Par contre Ornette, je ne connaissais de lui que la b.o. de the Naked Lunch avec Howard Shore que j'aime beaucoup depuis la sortie du film, donc pas une grosse surprise mais un plaisir certain. Par contre le Eastern Sounds de Yusef Lateef c'est du tout bon.
    Franchement le rapprochement entre Harry Belafonte et Abbey Lincoln n'est pas si surprenant que ça ils ont quelques morceaux en commun apparement

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  13. je ne connais que la dernière partie de sa carrière, vous m'apprenez tout de ce qu'elle a fait avant, et j'ignorais qu'elle avait une vie aussi passionnante. too late...

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