Eve - Ufomammut (2010)

Lors d'une chronique précédente, j'avais émis l'hypothèse qu'il ne fallait jamais se fier aux cris d'orfraie du rock-critic. Celui-ci en plus d'avoir un goût immodéré pour les boissons alcoolisées à base de malt (et les lunettes noires), a cependant d'autres points communs avec le joueur de poker qui cacherait dans l'une de ses manches un jeu de cartes supplémentaire, déjouant ainsi au besoin une déveine momentanée ou un art du bluff aux confins de la médiocrité. Car le rock-critic est toujours prompt à changer d'attitude au gré du vent et des marées, passé maître dans l'art du contre-argument péremptoire, lui valant ainsi le respect d'une plèbe rock à la mémoire courte... au détriment d'une certaine sagacité qui lui fera toujours défaut. Sortir comme carte maîtresse un poncif éculé n'est jamais handicapant pour lui, tout bon bluffeur sait qu'il s'agit avant tout de savoir manier la conviction, et lorsque cette dernière peut-être accompagnée de morgue et d'une certaine attitude (1), le rock-critic parviendra nul doute à son but: créer la confusion pour les plus audacieux ou suivre le mouvement pour les plus opportunistes. Dès lors, faut-il s'étonner de lire chez certains, le supposé manque d'innovation et d'inspiration chez les italiens d'Ufommamut, adeptes d'un doom psychédélique des plus intemporels?

Le trio italien formé en 1999, publiant dans la foulée un EP au nom délicieusement cliché, Satan, est devenu au cours de la dernière décennie une valeur montante du doom psychédélique pouvant aisément se faire une place entre Electric Wizard et Om. Après un Idolum sorti en 2008 ayant vu le trio passé un cran au-dessus, leur sludge vrombissait d'ambiances vintages, de basses magmatiques et d'atmosphères sombres dans la continuité d'un Snailking (2004), s'ouvrant encore un peu plus de nouveaux amateurs de riffs plombés.

A défaut d'avoir nommé son nouvel album Lilith, en hommage à celle qui préférait jouir des plaisirs de la vie au détriment d'offrir une descendance braillante au phallocrate Adam, le cinquième album du mammouth de l'espace porte le patronyme d'Eve, hommage à la première femme terrestre et à son acte rebelle envers son créateur en apportant le savoir à l'humanité, selon les propres mots du trio... de quoi rappeler les plus belles pages ampoulés du rock progressif des 70's, non? Autre point de discorde propre à une emphase lourdingue, l'album Eve se veut une unique chanson de 44 minutes (et 44 secondes soyons précis) divisée néanmoins en 5 parties distinctes, comme avait fait en son temps le groupe culte Sleep d'Al Cisneros (futur Om et Shrinebuilder) avec Dopesmoker (2003) (2), or toute la question était de savoir si le trio transalpin allait transformer l'essai et dissiper les quelques craintes...

Premier point, contrairement aux aspirations de base qui vont de pair avec une musique réputée pour son monolithisme, le cinquième album d'Ufomammut se différencie aussi bien sur le fond que sur la forme, contrairement aux précédents essais musicaux du trio, ou la fin d'un cycle initié par la triplette Godlike Snake/Snailking/Idolum (3)... à imaginer que les premiers reproches proviennent de ce changement. Autre point de division, la place plus importante, voire primordiale occupée par les ambiances, le trio semble en effet plus intéressé à tisser des atmosphères distordues qu'à assommer l'auditeur toutes les 3 minutes à coup de riffs cataclysmiques. Une évolution naturelle pour des italiens qui avaient pris l'habitude de clore leurs disques par une chanson fleuve oscillant vers la barre de la demi-heure, le choix d'une chanson-album prenant finalement tout son sens pour la suite de leurs aventures musicales.

Eve se distingue dès lors du passé purement sludge de la formation pour lorgner du coté du drone et en particulier d'un album qui fit date (du fait de sa construction pouvant difficilement passer pour une coïncidence), le sonique Feedbacker (2003) de Boris (4). A l'instar du disque des japonais, Eve se distingue par une lente progression occupant à elle seule les deux premières plages (5), où l'inspiration des transalpins puise sa source à la fois dans les transes hypnotiques de Conference of the Birds (I) et dans les meilleurs trips atmosphériques de Dopethrone (II), lorsqu'Electric Wizard s'approchait d'un peu trop près du néant. S'ensuit une progression quasiment tribale à l'orée de la face A ou l'appui nécessaire à une plage III à la gloire d'un stoner frondeur, les quelques vocaux aériens mutant en vocifération propre aux invocations allouées à un dieu vengeur. Une face B centrée sur une plage IV transitoire où le trio maintient une pesanteur saturée jouant sur la répétition du riff principal concluant l'album par une plage d'un quart d'heure, synthèse parfaite des quatre titres passés: lourd, intense, une longue marche vers un volcan bouillant avant un calme lancinant.

Un cinquième album qui contrairement aux autres volées de bois vert qu'il a reçu (6) n'a qu'un seul défaut, celui de ne pas suffisamment se différencier des influences citées plus haut. Ufomammut signe tout de même le chainon manquant entre Feedbacker et Dopesmoker.


La chronique de Nyko.

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(1) Attitude à définir selon le panel visé, il serait dommageable d'user de la même attitude si l'on parle à un public rock indie qu'à un public de chevelus true black metalleux...

(2) Album qui à l'origine ne contenait qu'une seule chanson d'une soixantaine de minutes dont Jim Jarmusch utilisa un extrait pour la bande originale de son Broken Flowers. Sorti en 2003 sous sa forme originel, l'album refusé par le label juste après son enregistrement mi-90's, refus qui fut à l'origine du split du trio, eut droit à une première sortie remaniée sous le nom Jerusalem, divisé en 6 parties, courant 98/99.

(3) Lucifer Songs (2005) étant plus proche du EP que du LP avec ses 5 chansons et sa durée de 25 minutes.

(4) Album contenant lui aussi une seule chanson divisée en 5 parties.

(5) Ce que le format vinyle soulignera davantage, ces deux plages occupant entièrement la face A, comme sur Feedbacker.

(6) Superficiel et ennuyeux étant les deux qualificatifs revenant souvent... ont-il déjà écouté Earth ou Boris, c'est la question qui me vient à l'esprit.

11 commentaires:

  1. Je connais pas, mais je vais chercher ça. Parce que quand je lis Boris, Om et Electric Wizard, je me dis "wow wow wow il me le faut !".

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  2. @ Nathan: tu m'étonnes :-D
    Des honnêtes artisans du stoner doom :-)

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  3. Dahu Clipperton27/05/2010 22:44

    Découvert grâce à l'article de Nyko, et j'ai pas été déçu du voyage ^^
    Malgré tout, je crois que c'est la première face que je préfère, très lente dans sa progression, massive et éthérée à la fois (pas évident d'associer ces 2 adjectifs...), ça fait un bien fou par où ça passe... Faut que j'aille voir le reste de leur discographie, ma foi.
    Et merci de me rappeler que je déconne complètement : à part un morceau live écouté chez KMS et la belle collaboration avec Sunn O))), je ne connais rien de Boris :-( Heureusement, j'ai vu que Nathan-juste-au-dessus propose une séance de rattrapage !

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  4. @ dr frankNfurter : Les précédents valent quoi ? Genre lequel est le meilleur ? Parce que si c'était plus sludge avant, ça m'intéresse carrément aussi.

    @ Dahu : Oui, il faut démocratiser Boris.

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  5. @ Dahu: ça me fait penser que depuis des mois j'ai la chronique de Feedbacker au point mort XD
    Moi aussi je dois avouer que la Face A est ma préférée

    @Dahu et Nathan: Comme je l'ai écrit leurs précédents albums sonnent différent, disons qu'ils mélangent allègrement le sludge avec le stoner psychédélique. Alors lequel retenir? Peut-être Snailking (Idolum est excellent mais n'apporte pas grand chose en plus hormis la chanson Ammonia avec Rose Kemp)

    ... en attendant un autre groupe transalpin, qui a au passage collaboré avec Ufomammut, les excellents Lento ;-)

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  6. tu le sais déjà, j'ai adoré ce disque. Par contre, où a tu vu des chroniques négatives? Je n'ai pas lu d'article sur ce disque mais les 2 ou 3 étaient très bonnes

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  7. @ Nyko: Je pensais en premier lieu à ce que j'ai pu lire sur le dispensable site vs-webzine

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  8. Écouté, et approuvé. Merci pour la découverte !

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  9. Yeah ! Bien que moins sludge, je trouve que Eve une évolution naturelle de Idolum. C'est presque évident de les voir se lasser de la saine agression. Il faudrait que je trouve un moment pour en dire deux mots chez moi.

    En revanche, je ne comprends pas vraiment où tu veux en venir avec l'introduction :) Perso comme Nyko, je n'ai lu aucune critique de ce type sur l'album. Je suppose donc qu'il s'agit d'une attaque en bonne et due forme contre le vs-webzine qui bien que dispensable serait selon toi composé de rock-critics reconnus ? Je sais pas ce que les pauvres ont fait pour mériter ça... Je comprends bien où tu veux en venir mais j'ai l'impression que c'est inapproprié pour ce disque. Après dans tous les cas, je ne suis pas à l'aise avec l'idée, comme je l'avais déjà explicité ici : http://www.playlistsociety.fr/2010/02/these-new-puritans-hidden-510.html

    Bon en tout cas, j'espère que cet album fera son trou. Merci pour cette chouette analyse, dont la conclusion (chainon manquant entre Feedbacker et Dopesmoker) est ultra-pertinente :p

    ++

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  10. @ Benjamin: Pas besoin d'être reconnu pour s'improviser rock-critic ;-)
    Effectivement, cette introduction peut sembler maladroite et inappropriée, car Eve est loin d'être un album mal aimé. Il n'empêche, à la lecture de la dite critique et d'autre comme celle de metalunderground.com, j'en ai profité pour tirer sur l'ambulance, car quand bien même la cible n'est pas un premier choix, ces deux chros négatives ou tiédasses étaient symptomatiques d'un certain ras le bol de ma part. Lire de la part d'un metalleux de base qu'en gros le drone c'est chiant (ça c'est son avis, pourquoi pas) et que par conséquent, c'est mauvais... on a comme des envies de lui répondre.
    Et puis la chronique n'est pas un démontage point par point des deux citées, alors laissez moi l'envie d'écrire encore une fois une introduction ironique... car triple zut, je vais le répéter encore combien de fois, que celui qui lit encore mes introductions au premier degré aillent donc ailleurs. Faut-il ajouter des warnings? :-D

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