Cronico Ristretto: Jarmusch - Herzog - Boorman


Peut-on s'émouvoir du peu de retentissement médiatique du dernier Jarmusch ? The Limits of Control aurait-il le privilège (risible) de faire partie des films incompris et injustement boudés par la critique et le public? Après les presque deux heures de visionnage, la réponse est sans appel... le cinéaste de Down by Law vient de réaliser son plus mauvais film. Son envie de continuer à rendre hommage au cinéma de Melville, The Limits of Control narrant l'histoire d'un tueur à gage (Isaach de Bankolé) solitaire et énigmatique à travers l'Espagne, pouvait sembler sinon louable, tout du moins attiser la curiosité. Las... à moins que Jarmusch ait décidé avec ce long-métrage de lorgner vers le comique décalé voire surréaliste, or l'ennui et le ridicule sont à la croisée des chemins. Le personnage principal, quasi muet, marche dans les rues de Madrid, rode dans les musées, aime le flamenco, boit du café et rencontre des personnages incongrus faisant office de contact [1]. Ils s'échangent des boites d'allumettes, celles-ci détenant un message codé indiquant le prochain lieu de rendez-vous, en attendant de rejoindre le lieu du dit contrat. Que retenir finalement de The Limits ?
 
Pas son festival d'acteurs célèbres en roue libre faisant office de faire-valoir (John Hurt, Tilda Swinton, Gael Garcia Bernal, etc.), la palme revenant à un Bill Murray totalement à l'ouest. En fait, la meilleure approche serait de considérer le dernier Jarmusch comme un film promotionnel produit par l'office du tourisme espagnol, l'image de ce dernier étant comme à l'accoutumé chez Christopher Doyle d'une rare beauté. De même, si The Limits peut à travers sa bande-originale faire découvrir aux néophytes les japonais de Boris, c'est déjà pas mal.



On était en droit d'être sceptique, Hollywood qui décide de réaliser un remake du chaotique Bad Lieutenant d'Abel Ferrara, et pourquoi pas celui de The Addiction, les vampires étant de nouveau à la mode. Et puis l'annonce qu'il s'agissait du cinéaste allemand Werner Herzog, le père d'Aguirre, la colère de Dieu ou du remake de Nosferatu, clamant avant tout son souhait d'en faire une libre adaptation ayant peu de rapports avec l'original pouvait-elle réduire les craintes... quand bien même Harvey Keitel céderait sa place à Nicolas Cage? Adieu donc New-York et ses bas-fonds, welcome to New Orleans post Katrina, sa moiteur et sa déliquescence. La gageure ou la catastrophe plus ou moins annoncée chez les cinéphiles est finalement aux abonnées absentes, mais la réussite l'est tout autant, la faute à un film finalement bancal. Si Herzog réussit à tisser une toile suffisamment poisseuse, on constate aussi que l'ancien ennemi intime de Kinski semble avant tout plus intéressé par l'ambiance et l'atmosphère putride et en marge de la Nouvelle Orléans que par le récit qui glisse lentement vers la farce hallucinogène. Dès lors, certains ont acclamé le jeu de Cage [2], capable de reprendre à son compte la folie inhérente chère aux personnages d'Herzog, quitte à en faire son nouvel alter ego kinskien, et pourtant... au jeu du plus cabotin, entre un Cage capillairement perdu pour la cause et un Herzog amateur de reptiles, le gagnant n'est pas celui qu'on pourrait croire... l'épilogue faussement fantasmagorique soldant parfaitement les comptes.



Ah j'entends déjà les propos malicieux: "Sean Connery en slip rouge, quel homme!". Zardoz ou son plus mauvais film selon les dires... plutôt son plus atypique, ou une entreprise de démolition pour en finir une fois pour toute avec son personnage d'agent double zéro à la rigueur... tout en attendant le ringard Jamais plus jamais [3] par conséquent... A croire que ses prestations dans le nanar made in Cannon L'épée du Vaillant (VO: Sword of the Valiant: The Legend of Sir Gawain and the Green Knight) ou l'infâme La Ligue des gentlemen extraordinaires seraient oubliables [4]. Zardoz ou les aventures de Zed l'exterminateur (Sean Connery) en 2293 décidé à remettre en cause le règne des Éternels, êtres humains immortels vivant dans un lieu inaccessible nommé Vortex où ces derniers ont le droit de vie et de mort sur le reste de la population humaine: les Brutes. John Boorman signe un film de Science-Fiction à petit budget empreint de thèmes "sociétaux" dans l'air du temps tels que l'écologie ou la place de l'homme dans une société sclérosée. Là où le bât blesse, c'est la forme utilisée pour un film de ce genre. Il est même étonnant de constater que son auteur n'est autre que celui de Délivrance, ce dernier pouvant s'enorgueillir d'être à la fois réaliste mais aussi par extension à contre courant avec l'idéologie hippie, un retour à la barbarie originelle où la cruelle dame nature est loin de faire l'apologie de l'amour fraternel. Au contraire, Zardoz rime avec une expérience psychédélique, un vrai trip hippie à l'acide, de quoi rendre l'objet à la fois terriblement daté et désuet... mais qui aura au moins un mérite, celui de minimiser la prétention du propos. Au final, à l'image de Délivrance, on ne sort pas indemne de Zardoz, mais pour des raisons différentes en somme...



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[1] Avec toujours la même phrase en guise d'introduction: "You don't speak Spanish, right?"., suivi de la réponse de Bankolé: "No"... Si un jour à ces mots vous croisez quelqu'un qui difficilement réfrène un rire nerveux, vous pouvez être certain que ce dernier a vu The Limits of Control... ses nerfs justement viennent de lâcher.

[2] Pourtant après sa performance dans Ghost Rider et autres navets, le neveu de Coppola pouvait-il mettre la barre encore plus haut?

[3] C'était la pseudo-polémique du jour...

[4] Et si on ajoute le Chapeau melon et bottes de cuir sorti en 1998, le cinéphile déviant notera dès lors que Connery prend un plaisir certain à jouer dans au moins une grosse plante potagère par décennie à partir des 70's.

18 commentaires:

  1. Ouais il semblerait que le Jarmusch ne fasse pas des étincelles...

    Bon, je sais pas si je risque de croiser beaucoup de personnes qui ont vu ce film... au détour d'un "you don't speak spanish, right? No" mais ça m'a bien fait marrer en tout cas

    SysT

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  2. @ Syst: il semblerait que le Jarmusch ne fasse pas des étincelles... c'est peu de le dire, j'ai lutté pour ne pas m'endormir...

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  3. Mmmh, je suis pas tellement d'accord. Enfin, je vois ce film comme une thèse. Je conçois parfaitement qu'on le trouve chiant à mourir, d'ailleurs. Mais sur le fond, j'ai trouvé ce film vraiment intéressant, en plus d'une esthétique réussie comme un Jarmusch (mais un peu moins parce que le noir et blanc est absent).

    Ce que j'ai vu, c'est une volonté d'aller vers l'abstrait. Déjà, c'est l'indication que donnent les tableaux, du figuratif à l'abstrait total.
    Puis la musique, choisir du drone, du Sunn O))) et du Boris, c'est nier toute mélodie, nier toute temporalité et toute cohérence. C'est aller vers l'ambiance, le ressenti.
    Comme si tout ce que voulait Jarmusch, c'est faire du cinéma abstrait et renier tout ce que le drone réussit à renier. Il l'explique d'ailleurs que Sunn O))) le fascine parce qu'ils réussissent à suspendre le temps et à créer une attente chez l'auditeur (en même temps avec des accords de neuf minutes, t'es obligé d'attendre).
    C'est un film drone en fait. Qui casse un peu tout pour dire de casser, c'est un peu la conclusion du film, où Isaach de Bankolé tue celui qui incarne une sorte de tradition, qui incarne les règles.

    Et puis la scène de flamenco est belle à crever.

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  4. @ Nathan: merci pour ce comm enrichissant et contradictoire qui laisse entrevoir une nouvelle approche :)

    Maintenant, je peux concevoir l'abstraction au cinéma puisqu'en général on peut faire un pont entre celle-ci et le cinéma contemplatif, je pense en particulier à Gerry de Van Sant. Mais franchement, ce film est handicapé par ses scènes de rencontre avec les contacts qui virent au grotesque et le pire est sans doute la fin, la rencontre avec Bill Murray, ça vire à l'arnaque (le terme est un peu fort, mais c'est pour retranscrire au mieux ma frustration).

    Je veux bien admettre l'abstraction mais dans ce cas, de ce point de vue strictement formel, Jarmusch a loupé en partie son approche... c'est d'autant plus regrettable que le thème de l'errance fait partie de sa filmo (je pense à Permanent Vacation par ex).

    Bref, merci encore pour ce comm constructif ;-)

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  5. @ Nathan : ton comm' est une belle analyse du dernier Jarmush et complète bien les propos "à chaud" du docteur. L'idée d'un film drone est bien trouvée d'ailleurs ! Est-ce que les films de Julian Schnabel dont le magnifique "Basquiat" sont des films drones ?
    Quant à la scène de Flamenco... je meurs en la voyant, mais pour une autre raison (je n'aime pas le Flamenco j'avoue et ce depuis l'enfance, c'est dire !)

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  6. En ce qui concerne le ridicule des rencontres, je vais poursuivre la métaphore avec Sunn O))), parce que je pense que le groupe a eu une énorme influence sur Jarmusch.
    Quand on voit Sunn O))) en concert, il y a tout un décorum, capes, lents mouvements, comme une cérémonie sataniste un peu. Et d'un coup, Stephen O'Malley attrape une bouteille de whiskey et s'en boit de belles gorgées. Autrement dit, il y a ce décorum : comment porter l'abstrait et un certain recul par rapport à tout ça.
    Jarmusch fait pareil. Il a bien conscience du côté prétentieux d'un film tel, alors il casse le cérémonieux par des scènes ridicules et absurdes, et assez drôles au final.
    Je pense vraiment que ce film est beaucoup plus recherché qu'il en a l'air.

    @ Dame Eolia : j'ai vu que le concert de Lou Reed de Schnabel, mais je peux pas répondre. Mais le premier film drone serait Nosferatu de Murnau, et cela irait jusqu'au Eraserhead de Lynch (bien que je n'aime pas ce film...)?

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  7. @ Nathan: réfléchi, j'en doute pas une seule seconde... mais réussi, je suis assez perplexe.

    Pour l'humour, la distanciation je suis encore d'accord, et puis l'humour et l'abstraction ont toujours fait bon ménage, complémentaires voire indissociables, mais chez ce Jarmusch, ça ne passe pas... rah les goûts et les couleurs hein! ;-)

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  8. J'me suis bien emmerdé devant le Bad Lieutenant (pas vu les deux autres et honnêtement, pas trop tenté !).
    Quand tu parles du droit d'être sceptique, tu causes de fosse ?

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  9. @ Thierry: et en plus dans le nouveau Bad Lieutenant, on n'a pas droit à une reprise de Kashmir du Zep.

    pas vu les deux autres et honnêtement, pas trop tenté
    Vous avez tort, Sean en petit slip rouge se débattant comme un beau diable, ça vaut son pesant de caouètes ^^

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  10. Zardoz .... rhaaaa quel bon film, ça vaut bien A boy and his Dog avec Don Johnson

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  11. @Diane: en parlant de chien, ça me fait penser au prochain film de Richard Gere qui sort bientôt Hachiko: A Dog's Story... rien que l'affiche, lui et le toutou, ça présage qqch de grand (remake d'un film nippon de 1987)

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  12. benji au pays du bento, plutôt cujo au natto me propose mickey, ou zoltan version kwaidan ?!

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  13. Je ne sais pas de quoi vous parlez, là, tout de suite, mais j'ai quand même envie de réagir sur les deux premiers films chroniqués, à savoir que, si Jarmusch et Herzog sont, à mon sens, d'excellents cinéastes, il n'en va pas de même, je trouve, au niveau du jeu d'Isaach de Bankolé et de Nicholas Cage...
    Ceci expliquerait-il cela? Aucune idée, car je n'ai visionné aucun des deux films.

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  14. @ miss Catherine: concernant les deux films cités, on ne peut véritablement mettre en cause ni l'un ni l'autre, Bankolé mimant parfaitement la marionnette de Jarmusch, quant à Cage, en d'autre circonstance on a pu le voir plus cabotin alors que ce rôle lui permettait de laisser libre court justement à son cabotinage habituel (disons que je garde un excellent souvenir nanar de sa prestation en tant que Johnny Blade dans Ghost Rider).
    Bref, aucun des deux n'handicapent ces deux films, il faut voir ailleurs. Et bon courage si d'aventure tu décides de les voir ^^

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  15. Tout d'abord merci pour cet excellent article !

    Je souhaite réagir sur Zardoz, et compléter par une brève périphrase l'analyse déjà détaillée et juste de ce cher Doc.

    Trois raisons indispensables pour de voir, ou plutôt de méditer, ce film:

    (i) La moustache de Sean Connery, empreinte d'une profonde sensualité virile, vaut la contemplation. Dommage qu'elle rate de peu la plus haute marche du podium squattée, je vous le rappelle, par les plus illustres des moustachus des 70s, les Village People.

    (ii) ça coute moins cher qu'un trip à l'acide ou aux dérivés psychotropes chimiques, et c'est garanti 1h30 sans retombées physiques graves.

    (iii) La révélation finale du sens de "Zardoz" vaut, à elle seule, toutes les lectures bibliques réunies depuis quelques siècles.

    @ Diane cairn : l'allusion à A boy and his dog est aussi bienvenue que poilue!

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  16. @ Alexouille: oui il serait dommageable d'omettre la fameuse moustache Burt Reynoldsienne de Sean Connery! Ça et sa tresse, quelle fougue!

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  17. Moi aussi, j'étais très sceptique à l'idée d'un "remake" de l'excellent Bad Lieutenant de Ferrara... mais le film d'Herzog a été plutôt une bonne surprise, très loin de l'original si ce n'est le personnage principal de flic barré et amoral, mais assez marrant...
    (quant à un remake hollywoodien du magnifique "The Addiction", parle pas de malheur, ils seraient capable de nous faire ça avec le couillon qui joue dans Twilight - ceci-dit, je n'ai pas vu ce film, mais rien ne m'a donné envie de le faire - à la place du génial Christopher Walken...)

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  18. @ GT: de toute façon Robert "le topinambour" Pattinson est trop jeune pour jouer le vampire ascète interprété par Walken... et il est bien trop occupé à jouer les nouveaux James Dean... du pauvre ^^

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