Waiting for the sun - The Doors (1968)

Il est des albums que vous connaissez de nom, que vous croyez connaître plus ou moins, ou tout du moins que vous croyez connaitre, sa réputation d'album mineur faisant le reste... et au détour d'un hasard, d'une ruelle, d'une chronique sur un blog, vous décidez d'offrir une seconde chance à cet album trop longtemps oublié par vos soins. Ce fut le cas la première fois avec le Space Oddity de David Bowie [1], et de nouveau le cas avec cet album des Doors, Waiting For The Sun.

Comme c'est souvent le cas, les raccourcis et lieux communs n'ayant aucune raison valable de ne point être de sortie en préambule, on s'amusera sans coup férir d'apprendre que Waiting For The Sun n'est autre que le troisième album des géniteurs de The End, soit l'album attendu au tournant, de la maturité... et patati et patata. Et il faut admettre, ceci expliquant en partie le peu d'intérêt que cet album a pu octroyer au préposé à la chronique pendant plus de dix ans, les titres supposés marquants, appelés plus communément tubes par les marchands de yaourts, sont loin d'avoir la même aura que ceux des deux précédents albums.
 
Hormis la bluette pop Hello, I Love You, celle qui nous a fait pester, et disons le, boycotter pendant tant d'années cet album, il apparait peu concevable de placer The Unknown Soldier (étonnamment premier single choisi) voire l'espagnolade Spanish Caravan au même niveau, qu'un Light My Fire ou un People Are Strange. En résumé, premier point à la décharge de ce troisième vinyle, l'apparent manque de chansons cultes. De même, et cet élément se manifestera bien des années après la sortie de la dite galette en éthényle, la position occupée par Waiting For The Sun dans la discographie de la bande à Jim Morrison. Un troisième album coincé entre deux albums classiques du rock psychédélique et suivi par le très moyen Soft Parade. A cela s'ajoute les deux derniers albums du renouveau blues-rock des Doors avec le roi Lézard [2], et vous obtenez un album situé dans le ventre mou. Bref pas de quoi lécher le papier buvard au bon goût de delysid.
  
De même, les érudits et autres blasés furent à la noce avec ce sinistre En attendant le soleil. Un album auquel les admirateurs étaient en droit d'attendre la même poésie épique à la démesure des transes chamaniques alcoolisées de Morrison, à l'image du morceau Celebration of the Lizard qui devait à l'origine occuper une face entière et qui ne sera finalement pas retenu par le groupe [3]. Ainsi en lieu et place de cette représentation orgiaque crépusculaire, les amateurs de fulgurance morrisonienne durent se contenter d'un extrait de la dite pièce via la chanson Not to Touch the Earth, soit une petite et morne pilule bleue à défaut d'allégories orgasmiques. Un supposé manque d'ambition qui permit aux plus aigris de pousser un rire gras en réécoutant l'exceptionnel Da Capo du Love d'Arthur Lee. Et à défaut de graver leur Revelation [4], les Doors s'inspirèrent des guitares hispanisantes de The Castle, soit dans la continuité des nombreuses idées subtilisées à l'artiste qui les fit découvrir à Elektra Records. Quoi de plus étonnant de la part d'un groupe à la mémoire courte et à la morale légère pourra maugréer le snob acariâtre.

Malgré ces viles (et forcées) déclarations précédentes, Waiting For The Sun ne mérite ni opprobre, ni oubli des rock addicts. Un album, comme annoncé plus haut, certes handicapé par une première chanson trop pop pour être honnête, mais qui cache de véritables perles. Passé donc la « purge » Hello, I Love You, les réticences se dissipent dès la suite à l'écoute de la face B du précédent single, Love Street, ballade délicate et légèrement mélancolique tout droit sortie de l'album Strange Days, au même titre que Summer’s Almost Gone ou la dramatique Yes, The River Knows et son bouleversant piano. Waiting For The Sun s'est longtemps distingué comme une déconvenue par son apparente faiblesse ou frilosité. Or en sus des trois chansons précitées, Not to Touch the Earth doit beaucoup à la guitare inventive et biscornue de Robbie Krieger tout comme Spanish Caravan et son incartade flamenca, ou l'étrange chanson pacifiste The Unknown Soldier et son fameux break menaçant accompagné des claviers fantomatiques de Manzarek, sans oublier l'intense My Wild Love chantée a capela. Enfin l'album se clôt par un Five To One qui, de par son groove et sa véhémence braillarde, n'est pas sans évoquer Maggie M'Gill, qui sera composé quelques temps plus tard sur le bien nommé Morrison Hotel ; et une comparaison amusante puisqu'il faudra attendre justement cet album de 1970 pour voir apparaître la chanson éponyme Waiting For The Sun.

Au final, l'album n'atteint certes pas la flamboyance des deux albums précédents. Le rock psychédélique des jeunes années a tendance, à première vue, à s'émousser, avant de toucher le fond avec Soft Parade, en attendant l'inattendue renaissance blues-rock. Album mineur pour les critiques de l'époque [5], mention qui s'ajoute à la déception engendrée à sa sortie après l'engouement des premiers enregistrements, Waiting for the sun a gagné au fil du temps sa place, celle du disque le plus attachant de la discographie des Doors, à l'image de leur chanson Yes, The River Knows.

Titres :
01. Hello, I Love You / 02. Love Street / 03. Not to Touch the Earth / 04. Summer's Almost Gone / 05. Wintertime Love / 06. The Unknown Soldier / 07. Spanish Caravan / 08. My Wild Love / 09. We Could Be So Good Together / 10. Yes, the River Knows / 11. Five to One

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[1] Mais bien avant le David Bowie Blog tour 2009,  précision à l'attention de Xavier.

[2] Mention utile, l'inconscient collectif voudrait que le dernier album des Doors soit L.A. Woman, en mettant de côté l'opération mercantile postmortem An American Prayer sorti en 1978. Or le trio restant a sorti de deux autres albums après la mort de Morrison sous le nom des Doors dans les 70's: Other Voices et Full Circle.

[3] Chanson qui fut cependant jouée en concert où l'on retrouve sa trace sur l'album Absolutely live et dont la version studio inédite sera incluse en guise de bonus dans la nouvelle version remastérisée de l'album pour fêter les 40 ans de la formation.

[4] Da Capo deuxième album de Love sorti en 1967 étant le premier album de rock à contenir une seule chanson, Revelation, sur une seule face soit quelque mois avant que Bob Dylan et Frank Zappa fassent de même sur Blonde on Blonde et Freak Out!

[5] Du fait de l'effet tremplin des deux premiers albums et du tourbillon morrisonien, Waiting For The Sun fut propulsé numéro un au Billboard tout comme son second single, Hello, I Love You.

15 commentaires:

  1. C'est toujours difficile le jugement des "vieux" albums.
    Pour moi, un autre grand exemple, c'est Led Zeppelin. Le IV et le V n'avaient pas été si bien accueillis que ça par les "connaisseurs". Aujourd'hui, on se dit que ce n'était pas si mauvais...
    Vais réessayer ça, tiens!

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  2. J'aime beaucoup cet album. Sans le placer au niveau des deux premiers, mais je le préfère à tous les suivants.

    Bel article (même si comme d'habitude ton gris sur fond gris m'a collé la migraine ^^)

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  3. @ Mmarsupilami: je t'avouerais que Houses of the Holy de Lez Zep est sans doute mon préféré. D'ailleurs, un peu comme cet album des Doors, il faudra attendre l'album suivant Physical Graffiti pour avoir la chanson éponyme de l'album précédent :-P

    @Thom: disons que désormais j'ai changé d'avis le concernant, et le trouve en effet plus digeste que L.A. Woman, c'est certain.
    Concernant la migraine, vous avez le droit aussi de régler la luminosité de votre écran ^^

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  4. Cet article manque de liens, je trouve.

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  5. mais mais mais c'est asturias ce spanish caravan ?
    http://www.youtube.com/watch?v=oEfFbuT3I6Ah
    http://en.wikipedia.org/wiki/Asturias_%28Leyenda%29
    j'avais completement oublié cet album, je me souviens qu'on se passait l'intégrale des doors en boucle quand j'étais ado, à 6 dans une pièce de 3m2 qui fleurait bon les herbes de provence.
    souvenirs

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  6. @ Guic: Roh qu'il est moqueur ^^ Cela dit, il a pas tort le stagiaire en rock'n'roll attitude :-P
    Disons que les liens me permettent surtout de mettre en valeur les titres des chansons ;-)... du coup c'est un vrai festival de blanc et de gris XD

    @ Au papa de Maurice et Eddy: oui bien joué, vous avez gagné le droit de revenir en deuxième semaine!!! ;-)

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  7. (merci pour la pub pour les petits !)

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  8. @ Diane: de revenir en troisième semaine ^^

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  9. moi aussi j'aime beacoup ce disque, il a un côté apaisé, qui n'existait pas avant, les grosses colères et délires chamaniques n'ont pas lieu sur Waiting for the Sun, hormis Not to touch the Earth qui en est une belle pièce. Non moi j'aime beacoup de Morrison de Yes the River knows, Summer's almost gone et de l'espece de valse Wintertime Love. On le sent déjà un peu sur Strange Days, avec des morceaux comme Love me two times ou My eyes have seen you, mais il charmeur au départ, il finissait toujours par se montrer menaçant.
    Non non j'aime beaucoup ce disque,il y est bucolique.

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  10. @ Klak: nous sommes d'accord pour le côté apaisé :-)

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  11. Savais-tu que le texte de "The End", était un hommage déguisé au chef d'œuvre de Céline ; c'est-à-dire de "Voyage au bout de la nuit".

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  12. En fait, on est à peu près tous d'accord, il n'égale certes pas les deux premiers ni le dernier, mais il a son charme et mérite d'être réévalué... En tout cas, il contient deux de mes chansons favorites des Doors : Not to Touch the Earth (surtout) et Five to One... et j'aime aussi beaucoup My wild Love...
    (par contre, même le fana des Doors que je suis te trouve bien généreux quand tu taxes "soft parade" de "très moyen"^^)

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  13. @ GT: Je ne l'attendais plus ce comm' alors que cet article t'était typiquement dédicacé :-P
    Concernant Soft Parade, oui j'admets volontiers avoir été très généreux lol

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