Mutants - Amir Valinia (2008)

Comme me confiait il y a peu un admirateur dévot de Tom Waits sous couvert d'anonymat, il ne suffit pas d'avoir la voix ravagée d'un cancéreux se gargarisant au whisky frelaté pour prétendre avoir le talent de l'interprète de Blue Valentines. De la même manière, l'équilibre entre un mauvais film sympathique de faible niveau et un sinistre navet semble être ténu pour l'habitué des multiplexes errant tel un zombie dans les centres commerciaux en mal de blockbusters hypercaloriques. Combien de crapauds malodorants et autres princes miteux pour un charmant et noble souverain à l'apparence altière et aux poils brillants ? Voici donc l'art délicat auquel s'est tenu la fine équipe composée de Jodie Jones, Evan Scott et Sam Sullivan (troisième du nom faut-il le préciser) pour écrire ce petit nanar horrifique sans grande prétention (enfin j'espère pour eux et leurs héritiers...) intitulé Mutants sous la direction du non moins inconnu Amir Valinia.
  
Parmi les nombreuses recettes susceptibles de transformer une vulgaire plante potagère en un mets nanar de premier (ou second) choix, deux exemples caractérisent à merveille le film du jour : une idée de départ improbable, si foutraque qu'on en vient à émettre de sérieux doutes sur la santé mentale des trois protagonistes sus-cités, pimentée par une touche de glamour, tout du moins prestigieuse dans le cas présent, par le choix d'inviter un hôte de marque pour rehausser votre casting famélique, comprendre un acteur avec suffisamment de notoriété venu cachetonner sans vergogne, n'hésitant pas une minute à saigner à blanc un budget anémié qui n'en demandait pas tant.
 
     
Steven Bauer/Michael Ironside, nos deux têtes d'affiche... enfin on doit les voir 15 minutes montre en main

Une menace bien plus grande que n'importe quel virus grippal plane sur les États-Unis d'Amérique et sur le monde. Le commandant Marcus Santiago (Steven Bauer), spécialement envoyé du Ministère de la Défense, affecté à l'opération Maniac, classé au sixième niveau du programme officiel des services de renseignements, soit un des agents envoyés partout dans le monde pour recueillir des données sur les dangers qui guettent l'Amérique : trafiquants d'armes, terroristes, etc., a pour mission d'observer les activités douteuses liant le docteur Serguei Petrov (Armando Leduc), l'agence de sécurité internationale Shadow Rock, sous le commandement du colonel Briggs, et l'usine de sucre Juste Rite. Quel peut-être le lien entre un biochimiste ancien employé de la CIA, un groupe de commandos d'élite et l'industrie de la canne à sucre : la drogue, les armes, une cellule terroriste ? “Si seulement ça avait été ça... non, c'était pire, bien pire que ça, [...] j'assiste à l'extinction de l'humanité...” nous confit non sans une pointe d'amertume et d'impuissance le commandant Santiago.

         
Le bon docteur Serguei dans ses œuvres, quoiqu'un peu salissantes... enfin "bon docteur", c'était une image en fait

Avec un tel préambule, la peur tiraille le spectateur lambda, on nous cache tout, on nous dit rien. Et si Braylon (Richard Zeringue), le propriétaire de Juste Rite, a embauché le docteur Petrov reconnu par ses ex-employeurs gouvernementaux pour son travail sur des cobayes humains, malades mentaux, prisonniers ou soldats, en testant les bienfaits du LSD [1] ou de la mescaline, ce n'est en aucun cas pour qu'on lui lise dans le texte Les âmes mortes de Gogol. Le sinistre Braylon a d'autres desseins que de s'ouvrir à l'âme et à la poésie russe, ce patron d'une usine de sucre cache en effet le funeste désir de créer, avec l'aide du bon docteur Petrov, un sucre aussi addictif que l'héroïne ou la nicotine, afin bien sûr d'en rendre les consommateurs ultra dépendants [2]. Certes, et alors, on a bien mis du mercure dans des cigarettes et personne n'en est mort, non ? Or non content de tester ces nouvelles molécules sur des malheureux kidnappés au passage, vagabonds, junkies et autres sans papiers [3], les hommes de main de Braylon ont enlevé par inadvertance à la fois l'agent de liaison du commandant Santiago, mais aussi et surtout Ryan Theriot, qui n'est autre que le fils du chef de la sécurité de Juste Rite et le frère de la secrétaire de Braylon... Quel sacré concours de circonstance ! Quel manque de bol ! Cependant, les scénaristes ont du cœur, et quelques jours après la disparition de Ryan, Erin reçoit à son travail de mystérieux e-mails de la part d'une certaine Cendrillon lui indiquant l'existence de comptes secrets appartenant à l'entreprise, puis une photo récente de son petit frère. L'enquête familiale peut enfin commencer avec un paternel ancien membre des Navy Seals.

     
Un plan drague typiquement redneck... laissez le charme agir!

En soulignant la touche glamour précédemment, le préposé à la chronique se doit de faire amende honorable, une fois n'est pas coutume. Le fameux invité prestigieux étant Michael Ironside, pour le glamour, on repassera. Ironside, soit l'une des plus "belles" gueules que comptent le cinéma de genre des trente dernières années, découvert dans Scanners de David Cronenberg dans le rôle du terrifiant Darryl Revok, puis dans la série culte des 80's V. D'un carrière marquée par ses rôles dans le fantastique, l'homme joua bien des années plus tard des personnages récurrents dans des séries plus grand public, à l'instar d'Urgences ou Desperate Housewives. N'empêche, l'acteur, surnommé The Guest [4], trimbale bon nombre de casseroles, qui ne lui ont paradoxalement pas trop porté préjudice, sa filmographie conséquente prouvant en effet le contraire. Mieux, on affirmera qu'en dépit de la plus minable production où Ironside daigne honorer de sa présence, son charisme (ou cabotinage forcené) lui permet, en général, de sortir son épingle du jeu [5]. Enfin, à la décharge de celui qui tient le rôle d'un colonel Gauge extrêmement fatigué, on retiendra en premier lieu, sans aucun doute, la faible place laissé à son personnage. De là à penser que ses scènes furent tournées en une seule nuit...

La revanche des grains de maïs et de la grappe de groseilles mutantes

A ce titre, Mutants, dans la grande tradition du nanar fauché, ne déroge pas à la règle. Il ne s'y passe pas grand chose ou plutôt si, tous les poncifs du genre y sont représentés, le cahier des charges se devant avant tout d'être aux normes. Mais le suspense n'aura que trop duré, et comme le laisse magistralement supposer les deux photos précédentes, la menace tant redoutée, quant aux risques sanitaires encourus par le sucre génétiquement modifié du bon docteur Serguei, est une réalité et nullement une allégation calomnieuse d’un concurrent anonyme. Et les mots prophétiques du commandant Santiago résonnent désormais en nous : “j'assiste à l'extinction de l'humanité...” L’espèce humaine sera-t-elle décimée par une mutation les transformant en ersatz de zombies épileptiques, à les faire passer pour des végétaliens cocaïnomanes ?

“Voici le sujet 89, c'est la seconde phase critique...”
on veut bien te croire surtout si ce seuil critique implique de tels effets numériques

En citant précédemment les codes que tout bon mauvais film sympathique se doit de suivre, Mutants signe donc un quasi sans faute dans la catégorie nanar apathique. Et la bande-annonce ci-jointe est à ce propos, elle-aussi, un modèle du genre, ou comment créer une bande-annonce artificielle à partir des vingt dernières minutes du film, les plus rythmées oserait-on ajouter, en créant un suspense éventé délicieusement cache-misère. La première et longue partie du métrage, montée à base de flashbacks bancals et d’action poussive, sert ainsi de longue introduction aux agissements du méchant et avide Braylon et à son Josef Mengele russe d’opérette. Les plus sensibles à la psychologie des personnages seront également ravis d'apprendre la place primordiale que peut avoir le couple Erin et Griff Theriot dans le récit. Il est toujours charitable de la part des scénaristes de ne point esquiver la rédemption d’un homme brisé sur le chemin de la vérité, en voulant sauver son propre fils, car cette quête n’est-elle pas celle de sa propre identité perdue ? Certes, cette recherche est minutieuse, le colonel Gauge passe presque cinquante minutes dans une faille spatio-temporelle [6], bloqué dans sa voiture à bavasser avec un commandant neurasthénique, tout juste compétent à asséner sa bile verbeuse contre les drogués et la canne à sucre. En somme, de très longs préliminaires dont la récompense n'en sera que plus explosive...

Mutants, un nanar que les betteraviers et Bonaparte ne renieraient pas.


Un bien bel incendie. En plan fixe, c'est pas brillant... mais animé, c'est encore pire!


Mutants - bande annonce

La canne à sucre, c'est bon, mangez-en!

Mutants | 2008 | 83 min
Réalisation : Amir Valinia
Scénario : Jodie Jones
Avec : Michael Ironside, Louis Herthum, Tony Senzamici, Steven Bauer, Sharon Landry, Jessica Heap, Armando Leduc
Musique : Sammy Huen
Directeur de la photographie : Barry Strickland
Montage : Shane Finley
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[1] On rigole mais les tests effectués par la CIA sur l'utilité du LSD en matière de renseignements sont un fait avéré cf. LSD et CIA : quand l’Amérique était sous acide, livre de Martin Lee et Bruce Shain... C'était l'instant sérieux... Pouf pouf.

[2] A part être diabétique et ancien fumeur supportant très mal son sevrage, on en vient à s'interroger d’où vient l’inspiration d'un tel pitch.

[3] Les plus radicaux diront que Serguei lutte à sa manière contre l'insécurité, la délinquance et le chômage.

[4] Surnom donné par ses fans du fait de sa grande participation à de nombreuses séries US en tant qu'invité.

[5] Quelques mentions très spéciales pour avoir interprété le général Katana dans le nanar MacLeodien Highlander II ou dans la série Walker Texas Ranger: rien que l'idée de voir Chuck Norris combattre Michael Ironside fait exploser le potentiel nanar de la dite série.

[6] Étonnamment, tandis que le temps s’écoule paisiblement durant les cinquantes premières minutes du film, où l’on suit donc les pérégrinations de la famille Theriot étalées sur plusieurs jours, Michael Ironside semble vivre dans un autre espace-temps, ce dernier reste coincé dans sa voiture roulant la nuit vers l’usine de Juste Rite au gré des sentences dépressives du dépité Steven Bauer.

10 commentaires:

  1. Dis donc, c'est que du bon, on dirait! Et les effets spéciaux semblent être de toute première catégorie!
    Y'aurait pas eu une nomination aux Oscars?

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  2. C'est du bon... euh oui, on va dire ça ;-)
    En tout cas, on pourra pas dire après que l'industrie cinématographique, même nanar, ne s'intéresse pas aux problèmes de santé publique! Car finalement, Mutants n'est-il pas une attaque envers les OGM, hum?
    Je vous laisse méditer ^^

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  3. D'ailleurs, y a-t-il un seul thème auquel Hollywood ne se soit pas intéressé?

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  4. y a-t-il un seul thème auquel Hollywood ne se soit pas intéressé?
    Difficile en effet à trouver un thème inédit non traité par Hollywood, encore que, en cherchant bien...

    Au passage, on ne soulignera jamais assez la puissance du lobby betteravier! Hollywood infiltré par l'industrie de la betterave... qui l'eut cru? ^^

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  5. Okay en fait pour le coup ils ont fait bcp plus drôle que dans x-files (série au potentiel nanar méconnu)

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  6. @Syd: Plus drôle... oui à l'insu de leur plein gré en fait ^^

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  7. Je vais essayer de le regarder car, j'adore Michael Ironside.

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  8. Oui alors attention j'aurai prévenu: il rend une copie fade et on le voit finalement peu! The Guest quoi! ^^

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  9. Et bien bravo ! Tu as réussi à créer l'envie, et je me suis farci ce film. Pas entier à vrai dire, je suis au trois quart, en cours de lecture...

    Ironside à lui seul vaut le déplacement, même s'il semble n'apparaître que 17 secondes cumulées (il a dû être payé en "sucre").

    Sinon, autant prendre le risque de dire quelque chose d'intéressant, ce film m'a fait pensé que j'ai vu un potiron "mutant" géant il y a quelques temps dans un jardin, et j'ai été impressionné (en tout cas bien plus qu'au visionnage de ce nanar). Et après renseignement auprès des meilleurs blogs de cuisine et de médecine, "la consommation de potiron permet de lutter très naturellement contre une tendance à la constipation."

    Ca tombe vraiment bien, je commence à me faire chier ! ;-)

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  10. @ l'ami sétois: Ouah avoir réussi à créer l'envie avec Mutants, la classe :-D

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