Crazy Life - Gino Vannelli (1973)

On a beaucoup glosé sur l'influence qu'a pu avoir la diaspora italo-sicilienne dans la musique, et cette propension à regarder tomber la neige, quand la demoiselle ne vient pas le soir. Pourtant, on aurait tort ô sinistre public français d'oublier l'un des plus bels étalons que la Botte transalpine ait offerte au continent nord-américain et au monde entier [1], le beau et fringant Gino Vannelli.

Découvert il y a peu par le préposé, le hasard faisant décidément bien les choses, notre chanteur à la crinière au vent fait étrangement partie des rares artistes anglophones mondialement connus, qui furent sacrifiés sur l'autel de la sacro-sainte diversité culturelle française. C'était également sans compter, faut-il le rappeler, le monopole, voire la vile OPA lancée par les chanteurs italo-belges sur notre belle contrée barrant ainsi sournoisement la route à un artiste au charme ravageur, dont le seul défaut aura été de chanter dans la langue de Barry Manilow.

Notre bellâtre canadien à la peau mat et chemise ouverte eut très tôt droit à une éducation musicale, le jeune Gino ayant grandi dans une famille où la musique tenait une place importante avec un père chanteur de jazz. Se forgeant ainsi une oreille au cours de son adolescence passant du jazz, à la pop en passant par le R&B et la musique classique, Vannelli s'octroyait une formation solide et un passeport pour une future carrière dans la chanson, comptant sur son éclectisme et sa fougue pour lui ouvrir les portes de la gloire.

Après un single signé avec la filiale canadienne de RCA Records, Gino et son frère Joe [2] décidèrent de tenter l'aventure à Los Angeles, prêts à faire reconnaître leur talent. Mais la route est parfois semée d'embûches, même pour un beau brun à la chevelure de jais (le lecteur comprendra que l'argument capillaire chez Gino Vannelli est loin d'être anodin). Et c'est au moment où la résignation commençait à poindre crânement son nez, que le destin décida enfin d'offrir une opportunité que nul ne peut refuser. Prêt à faire ses valises, l'épisode L.A. sonnant comme un constat d'échec, ces diablesses de majors faisant la sourde oreille, Gino Vannelli, avec l'énergie qui est sienne, tenta un dernier coup de Jarnac. Il fila au siège de la maison de disques A&M, guettant non loin du parking de l'immeuble la sortie du leader des Tijuana Brass, Herb Alpert, soit l'un des fondateurs du label A&M. Bravant l'autorité, au risque de flirter avec le danger, Gino courut vers son destin et demanda humblement à Alpert une audition. Touché par ce geste, le charisme ténébreux de Vannelli n'ayant sans doute pas joué en sa défaveur (qui ne serait pas troublé devant une telle crinière), Alpert accéda à la requête du jeune éphèbe, et un rendez-vous fut pris pour un essai acoustique où Gino joua ses plus récentes compositions... La légende de Gino Vannelli pouvait ainsi enfin commencer.

Le premier album de Gino Vannelli, Crazy Life, permit à son auteur de laisser une première empreinte sur l'univers musical des 70's. Le romantisme éculé de Barry Manilow vous donne des aigreurs, Billy Joel vous semble aussi sensuel qu'un rhizome, Gino Vannelli est la réponse. Premier avantage de cet album, et non des moindres afin d'éviter tout indigestion, sa durée : 23 minutes. Tout comme les punks avant l'heure, Gino va à l'essentiel. Et non content d'avoir un si bel organe, on appréciera la finesse des arrangements d'un jeune homme tout juste âgé de 21 ans, autant que le lyrisme troublant se dégageant des paroles écrites par ce séduisant italo-canadien " It's a crazy life, a hazy life [...] It's a coocoo life, a lulu life ". Certes, les esprits moqueurs pointeront du doigt cette pochette quelque peu datée, mais qui ne trahit aucunement l'enthousiasme d'un jeune musicien prêt à en découdre avec n'importe quel capilliculteur.

Cela dit, soyons honnête cinq minutes, et laissons de côté un temps soit peu la précédente candeur [3]Crazy Life, ne serait-il pas simplement un album de variété 70's juste bon à empiler les poncifs, soit le fruit bien mûr d'un futur has-been ? Pas tout à fait finalement. On aura toutes les difficultés à faire admettre que la pochette de ce premier effort est ironique [4], ou donner un simple crédit à un latin lover d'aspect dont le minimalisme capillaire n'est pas sans rappeler la chevelure chatoyante de Brian May. Pourtant, le contenu du dit disque est en aucun cas vulgaire ou putassier. Le style de Gino Vannelli est très loin de faire partie des préoccupations premières du RHCS [5], et la présente chronique pourrait se résumer par certains comme la conséquence d'une lamentable condescendance [6]. Or sur le fond, sous le vernis variété de Crazy Life et des thèmes abordés par son auteur, la culture musicale de Vannelli, décrite plus haut, n'est pas une illusion ou un effet de manche. Les arrangements jazzy et l'apport des percussions de ce premier disque, et qui plus est pour un jeune musicien, restent honorables et évitent toute grandiloquence en toc généralement coutumière pour ce type de musique. On atteint même un raffinement assez étonnant par moment, même si, force est d'admettre, que la production reste affreusement datée [7].

Un disque de variété qui prête (forcément) à (sou)rire, mais qui n'en reste pas moins attachant par certains aspects.




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[1] Gino Vannelli débutait ainsi en novembre 2009 une tournée néerlandaise.

[2] La musique étant une affaire de famille chez les Vannelli, Joe s'occupera pendant très longtemps des claviers et la fratrie s'adjoindra un peu plus tard les services du cadet Ross.

[3] Candeur propre à la famille de l'agent comptable car désormais sa mère mais aussi sa grande sœur font du lobbying sur ce blog...

[4] Pourtant il serait dommage de ne pas apprécier le souci du détail : la chemise grande ouverte, le foulard, le pendentif doré mis en valeur par ce torse viril, cette démarche assurée...

[5] Cela dit, en schématisant rapidement, entre aimer les mauvais films sympathiques et les chanteurs ringards, il n'y a qu'un pas ? Vous avez deux heures.

[6] Les dernières interrogations sur la capacité d'argumentation des fans de Muse ou du dernier U2 ont valu au préposé quelques inimitiés sur la toile.

[7] Comprendre : production datée mais "minimaliste" et suffisamment subtile comparée aux disques pompiers à venir.

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