Avec ou sans bras... Chocolat, Claire Denis (1988)

Il serait dommage de ne retenir que les films les plus expérimentaux de la talentueuse Claire Denis à savoir Trouble Every Day ou L'intrus, quand bien même dans le premier cas, celle-ci filme à merveille les couloirs d'hôtel ou les assassinats sauvages dans les pavillons de banlieue.

D'autre part, en guise de préambule, on pourrait rappeler que Chocolat n'est autre que le premier film de l'ex-assistante réalisateur de Wim Wenders et de Jim Jarmusch... voilà de quoi éveiller normalement le cinéphile, n'est-ce pas (1)? Ainsi sur le tard, encouragée par le cinéaste de L'ami Américain, Claire Denis se lance dans l'écriture et la réalisation de son premier long-métrage, film qui comme c'est souvent le cas chez certains auteurs, retrace une part plus ou moins autobiographique de sa vie. Claire Denis va dès lors puiser dans ses souvenirs d'enfance, ceux de la petite fille qui grandit en Afrique coloniale lorsque son père était encore administrateur en Haute-Volta, au Cameroun et à Djibouti (2).

 

Une jeune femme retourne au Cameroun pour retrouver les traces de son enfance. Le temps d'un voyage en voiture, elle se remémore cette époque où jeune enfant, son père était alors commandant au poste de Mindif dans le nord du Cameroun lorsque celui-ci était encore une colonie française. Le père étant souvent absent du fait de ses obligations militaires, la petite France et sa mère Aimée se retrouvent fréquemment seules. La jeune femme s'acclimate difficilement à cette situation et a toutes les peines du monde à affirmer sa position de maîtresse de maison... bien qu'étant secondé par son "boy", Protée... Un jour, le couple reçoit la visite de compatriotes ayant eu un accident d'avion, ces derniers devant rester quelques temps chez les Dalens le temps des réparations...

 

Le récit de Chocolat se basant sur les souvenirs d'enfance de la jeune France Dalens, on aurait pu "craindre" une histoire uniquement centrée de prime abord sur la vision unilatéral de la petite. Or justement, pour celui qui connait un minimum le cinéma de Claire Denis, le scénario du long métrage ne se contente pas des souvenirs entre la jeune enfant et Protée (3) et de sa vision de l'Afrique coloniale. Pour reprendre ainsi une thématique chère à la cinéaste, dès son premier film, les thèmes liés au désir et aux tensions ont déjà une place prédominante dans son cinéma. Désir inavoué et inavouable entre la jeune maîtresse Aimée et son boy Protée, les rapports complexes entre l'enfant et son domestique, tiraillé entre la protection et l'obéissance dû à son rang et bien sûr la position intenable et absurde de la colonisation. A ce titre, on ne peut que souligner l'intelligence du propos de Claire Denis, celle-ci ne s'attaquent pas frontalement aux problèmes de la colonisation, s'intéressant avant tout aux rapports humains (4): le panel des colonisateurs étant suffisamment large pour avoir une vision relativement large du phénomène humain.

 

Dès son premier long métrage, la cinéaste s'entoure déjà de futurs habitués à savoir la talentueuse Agnès Godard à la photo et Jean-Pol Fargeau, un autre compagnon de route connu pour ses collaborations au scénario des prochains S'en fout la mort ou Beau travail. Techniquement le film fait en effet preuve d'une maturité qu'on serait tenté d'affirmer d'étonnante pour un premier jet... si on n'omettait l'expérience de la jeune cinéaste. Visuellement, un film magnifique qui convie aussi pour la musique et les mélomanes le pianiste de jazz Abdullah Ibrahim. Pour finir, les interprètes en particulier les deux personnages masculins, Isaac de Bankolé (Protée) et François Cluzet (Marc Dalens) mettent au diapason un film qui aurait pu (du?) recevoir un prix lors du festival de Cannes en 1988, ce dernier étant présenté en compétition officielle cette année là.

Chocolat, un premier film loin d'être anecdotique. Par sa vision poétique et sensuelle, Claire Denis pose déjà avec une belle assurance et maturité son empreinte dans le 7ème Art.

Chocolat | 1988 | 105 min
Réalisation : Claire Denis
Production : Alain Belmondo, Gérard Crosnier
Scénario : Claire Denis, Jean-Pol Fargeau
Avec : François Cluzet, Isaach De Bankolé, Giulia Boschi, Jean-Claude Adelin, Laurent Arnal, Jean Bediebe, Jean-Quentin Châtelain
Musique : Abdullah Ibrahim
Directeur de la photographie : Robert Alazraki
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(1) Assister Wenders pour Paris, Texas et Les ailes du désir et Jarmusch pour Down by Law, pour un début on a vu pire comme CV.

(2) Comble de mon snobisme, j'utilise l'ancien nom du Burkina Faso, puisqu'à cette époque ce dernier ne portait pas encore le fier et beau patronyme de la patrie des hommes intègres. A noter que fin 90's, Claire Denis retournera à Djibouti pour filmer l'envoutant Beau travail.

(3) Quand bien même les scènes entre France et Protée soient magnifiques, on attend un peu plus du film... et on ne sera pas déçu.

(4) On appréciera aussi au passage le couplet du conducteur américain sur la supposée et chimérique fraternité noire.

13 commentaires:

  1. De Claire Denis, je me souviens avoir vu un film ou Béatrice jouait une cannibale.

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  2. je n ai pas vu celui là mais "trouble every day" m a profondément marqué.
    J'ai chopé assez récemment dans une brocante pour 0,50 euro le vinyle de la b.o. du film de Claire Denis "les têtes brulées". Pas vu non plus. Il va falloir que je dégotte ces films

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  3. "Les têtes brulées"? o_O
    Je connais pas... ni IMDB

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  4. je me suis planté. En fait Les Tetes Brulées est le groupe qui a réaliser la b.o. Et le film s appelle donc "man to run"

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  5. De Claire Denis, je ne connais que les b.o., même si j'ai plusieurs fois eu "Trouble every day" en main... et puis non, en fait : je dois être une petite nature ;)
    Encore que...

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  6. à vrai dire par exemple, j'écoute plus souvent la BO des Tindersticks de "Trouble Every Day" que je ne le revisionne.
    Donc si au moins vous connaissez cette BO, tu es pardonnée! :P

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  7. Ben oui, quand même: j'ai même rendu hommage aux Tindersticks et à leurs b.o. dans ma "Petite musique de film"...

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  8. j'ai vu ce film à sa sortie, j'avais 14-15 ans, et je n'avais pas encire vu de jarmush,
    j'avais trouvé ce film envoutant, on a déjà toute la sensualité et le sens très particulier de la caméra de claire denis.

    ceux qui ne connaissent d'elle que Trouble every day, film mineur et sans grand intérêt, auront du mal à imaginer quelle immense cinéaste elle est, mais immense sans démonstration ni grandeur,
    sa photo très lumineuse, son utilisation des comédiens avec très peu de dialogues (probablement la plus silencieuse de tout le cinéma français actuel),
    ses histoires ténues et prenantes,
    et puis surtout, une fois encore, une sensualité débordante sans jamais une once de vulgarité.

    son plus fort est sans doute "beau travail", avec denis lavant et grégoire colin.
    un grand film, vraiment.

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  9. "Trouble Every Day" un film mineur de Claire Denis... sans doute. Mais il reste tout de même une agréable relecture du film de genre.
    Après, ne retenir que ce film faussement provocateur du travail de Claire Denis serait plus qu'une erreur... un gâchis.

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