Funny Games - Michael Haneke : l'horreur avec des gants blancs (1997)

Une semaine après la Palme d'or décernée à son dernier film, Le ruban blanc, intéressons nous à l'un des films marquants du controversé [1] cinéaste autrichien Michael Haneke, Funny Games. Film qui eut droit, dix ans plus tard, à son remake américain, et réalisé, une fois n'est pas coutume, par Haneke lui-même.

Funny Games narre le calvaire d'une famille venue passer quelques jours de vacances près d'un lac. Tout avait pourtant bien commencé pour Georg (Ulrich Mühe), Anna (Susanne Lothar) et leur fils. Ces derniers arrivent en voiture dans leur lieu de villégiature habituel tout en saluant leurs voisins au comportement étrangement absent. Une fois installés, en attendant de défaire leurs bagages, Georg et junior mettent à l'eau leur embarcation, le petit s'interrogeant sur l'absence de la petite Sissi. Pendant ce temps, Anna reçoit la visite de Peter (Frank Giering), un des hôtes de leurs voisins croisés précédemment, lui demandant, de la part de la maîtresse de maison voisine, quatre œufs. De sa supposée maladresse à son extrême politesse, le malaise s'accroît rapidement entre Anna et Peter, tension qui atteint sa première limite à l'arrivée de Paul (Arno Frisch), le partenaire de Peter. L'escalade de la violence est déclenchée. Le conflit larvé entre la famille et les jeunes étrangers explose, la famille devenant désormais l'otage des deux jeunes hommes.

Archétype du film malséant, Funny Games est un film qui marquera longtemps le spectateur, quand bien même ce dernier ait été averti, et ceci dès les premières minutes du long métrage. Du choix de Michael Haneke de glisser brutalement un morceau du Naked City de John Zorn après une composition d'Haendel, le cinéaste lançait par cette intervention zornienne dissonante un avertissement on ne peut plus explicite. Funny Games pourrait s'apparenter à un thriller, du début paisible au trouble causé par l'apparition d'un membre extérieur au cercle familial. Mais chez le cinéaste autrichien, cette tension va donner lieu à une montée en puissance de la violence anxiogène. Une supposée accalmie, ou l'espoir généré [2] par la disparition du duo criminel, ne peut finalement déboucher qu'à un dénouement jusqu'au-boutiste.

Funny Games accumule nombre d'aspects dérangeants : l'extrême politesse des tortionnaires, diamétralement opposée à leurs jeux sadiques, l'aspect clinique de leurs habits, tout de blanc vêtus avec gants blancs en option, voire certaines habitudes puériles, en particulier celles de Peter, qui vont à l'encontre du film d'horreur habituel. Pire, le film interroge frontalement la position du spectateur face à sa position de voyeur. Quitte à faire passer ce dernier pour un complice, Haneke le pousse dans ces derniers retranchements, une gêne accentuée par l'habitude qu'à Paul, l'un des jeunes sadiques, de prendre à partie le spectateur.

Parmi les reproches qu'on a pu faire souvent au film d'Haneke, certains ont pointés du doigt sa violence "réaliste". Or l'autrichien ne dépeint pas une violence crue telle que la décrit par exemple Takeshi Kitano. Le réalisateur semble en effet plus intéressé par la tension et les conséquences de cette violence, mais en aucun cas par la douleur physique et l'aspect immédiat que peut brosser le réalisateur de Violent Cop. Et à vrai dire, la seule fois où l'on aperçoit frontalement cette violence, Haneke use d'un stratagème suffisamment perfide pour justement la contourner, ou les joies de la télécommande sur le récit.

Un grand film d'horreur à visage humain porté par l'interprétation sans faille de son quatuor d'acteurs, le père et la mère joués par Ulrich Mühe [3] et Susanne Lothar, et le duo psychotique joués par Frank Giering et Arno Frisch.

A conseiller à un public averti.



Funny Games | 1997 | 108 min
Réalisation : Michael Haneke
Production : Veit Heiduschka
Scénario : Michael Haneke
Avec : Susanne Lothar, Ulrich Mühe, Arno Frisch, Frank Giering
Directeur de la photographie : Jürgen Jürges
Montage : Andreas Prochaska
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[1] Enfin controversé... disons que ses films amènent à la controverse par ses sujets abordés.

[2] Cette accalmie donne lieu à une scène bouleversante, quand un "simple" "Je t'aime" peut prendre un accent des plus tragiques.

[3] Décédé en 2007 Mühe est connu en France pour son interprétation dans La vie des autres où il jouait un agent de la Stasi.

13 commentaires:

  1. Un film véritablement dérangeant, comme il y a en a peu. Tout ici crée cette tension interne, un effroi sous-jacent, des non-dits...

    Une vraie réussite!

    Je n'ai pas vu le remake mais j'ai cru comprendre qu'il était totalement inutile...

    SysTooL

    NB : Tiens, j'avais écrit une bafouille sur FUNNY GAMES...
    http://systool.over-blog.com/article-1498129.html

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  2. ouais c'est ce que j'ai découvert hier en cherchant si qqn avait déjà chroniquer ce film via critico-blog :P ;-)

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  3. Je m'en veux ! Car je n'ai vu que le remake avec Tim Roth & Naomi Watts...

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  4. c'est vrai que quitte à choisir, vaut mieux voir l'original ^^'
    M'enfin, c'est toujours mieux que rien. ;-)

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  5. J'ai vu le remake, et clairement adoré. Il n'y a pas que les 2 fous furieux du film qui jouent avec leur victime... le réalisateur aussi ;)

    Excellent article, encore une fois. A noter que le dialogue final m'a marqué, je pense qu'il y aurait beaucoup à en dire...

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  6. Clair que Haneke joue très bien les sadiques.
    Par contre, bien que n'ayant pas vu le remake US, des photos que j'ai pu voir, Michael Pitt joue un "Peter" très convaincant. Haneke ayant retrouvé un acteur qui, comme le Peter original, a un visage enfantin... quoi de mieux comme signe extérieur physique pour jouer les sadiques, n'est-ce pas? :D

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  7. Dahu Clipperton02/06/2009 18:51

    Ce que j'aime dans ton article, c'est que tu rappelles la part d'humanité dans les films d'Haneke. Il y a quand même un minimum d'empathie avec les personnages, ce que ses détracteurs semblent ne pas vouloir voir. Ce n'est pas un cinéma "clinique", désincarné, l'oeuvre d'un entomologiste totalement froid et distant... le genre de raccourcis qui font, à mon sens, passer complètement à côté du propos.

    "71 fragments [...]", par exemple, est d'autant plus bouleversant que ce qu'on a sous les yeux est terriblement humain, toutes ces brèves scènes a priori anodines.

    Le truc qui revient assez souvent aussi, et qui va de pair, c'est de dire que ses personnages sont des archétypes ou des stéréotypes. Dans "Funny games", c'est évident en ce qui concerne les deux bourreaux, incarnations du mal "pur", dépourvus de compassion, de pitié, de remords... Par contre, ça ne me paraît pas être le cas du couple et de leur gamin, même si (instant Bourdieu^^) les marqueurs socio-culturels sont ultra-définis dès le départ.

    Mais je crois que c'est dans ce "jeu" que se situe une des clés du film. Les bourreaux devraient nous être foncièrement antipathiques, or... ils sont diablement complices avec le spectateur (leur côté "gamins", les regards caméra du brun, qui nous renvoie à notre propre connivence...). Haneke pose de manière très dérangeante la question de l'identification : au final, vers quel "bord" se sent-on plutôt attiré ? Ces 2 démons en gants de satin qui mettent en avant la dimension "ludique" de leurs exactions ? ou vers cette famille bourgeoise pas très folichonne, qu'on mate en train de se faire torturer, et qui est quand même bien moins "attirante", "aguicheuse" ?

    Et du coup, ça renvoie au "régime" des images et même des sociétés post-modernes. Les 2 jeunes, c'est l'excitation, la violence, le shoot de plaisir, les sensations fortes, mais c'est surtout le vide absolu, des enveloppes dépourvues de valeurs, qui ne se posent pas de questions, pour qui les autres humains ne sont que des instruments, des jouets qu'on jette (au sens littéral, ici...) une fois qu'on leur a pris tout ce qui pouvait nous satisfaire, nous contenter... Et la part de l'humain, la vraie douleur, celle qui accable les parents durant cette terrible accalmie, est-on encore capable de la ressentir ?

    Le pire, c'est que "Funny games" a été réalisé avant l'essor de la télé-réalité (quoique, il y avait peut-être déjà des prémisses, aux Pays-Bas), dont "les concepts" vont toujours plus loin dans le racolage et jouent sur, réveillent les aspects les plus lamentables de l'espèce humaine (comme ce projet d'émission incitant les participants à la délation au sein de leur entreprise, je crois que c'est anglais...)

    Allez, j'arrête, tu m'excuses (?), j'ai fait vachement long, et puis je sais pas si j'ai été très clair...

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  8. ah si, c'est très clair de mon côté, et un comm' très judicieux et intéressant qui plus est :-)

    Et il est bon de souligner que la gêne ressentie par le spectateur provient en effet de l'identification aux personnages. D'ailleurs de manière triviale, on aurait pu penser qu'un cinéaste US aurait joué la carte du glamour pour ses deux tueurs. Haneke choisit le versant encore plus retords car plus précis, celui de les rendre plus accessibles. Au final, Haneke en bon manipulateur nous renvoie à nos propres pulsions voyeuristes, sauf que cette fois-ci, il n'y a pas d'échappatoire (pire encore, quand on en croit y en avoir un, il joue avec une télécommande).

    En ce qui concerne la famille bourgeoise, en voyant "Funny Games", je n'ai pas pu éviter le rapprochement avec Claude Chabrol, et en particulier "La cérémonie", même si ces deux films restent foncièrement différents.

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  9. Dahu Clipperton02/06/2009 21:36

    Pourquoi pas, mais chez Chabrol, il y a de toute façon ce côté "cramer du bourge" dont il ne s'est jamais caché^^
    "La cérémonie", ça reste une vision assez symbolique d'une certaine forme de "lutte des classes", une tension sous-jacente : un dégoût contenu, ravalé, chez le personnage joué par Huppert, d'autant plus dur à vivre que ses "maîtres" sont si gentils, ont le sens des convenances... alors qu'elle semble avoir la conviction intérieure que, dans l'absolu, elle ne vaut à peu près rien à leurs yeux. Je me trompe ?

    Haneke joue, je crois, de ce côté "buter du bourge", du "plaisir" que l'on peut retirer du spectacle des "dominants" à qui l'on fait payer leur opulence... pour nous poser cette question, latente : vous justifiez cette violence ? C'est là que c'est assez retors (un bon adjectif pour parler des oeuvres d'Haneke^^) : une fois qu'on s'est posé cette question, la façade, les codes sociaux s'effacent... et on se retrouve face à la pure réalité humaine, un couple et son gosse à qui on fait subir des sévices tout à fait inhumains, injustifiables.

    Je trouve que ça rejoint le propos d'autres de ses films, où il décrit une société (la nôtre, l'Occident, quoi^^) qui (nous) étouffe sous le poids des représentations, des codes... au point de nous faire oublier ce que c'est d'être humain, de vivre, de penser (aux conséquences, entre autres)...

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  10. n'ayant vu (pour l'instant) que 3 films d'Haneke, je ne peux pas autant conjecturer que toi.
    Mais effectivement, la représentation d'un certain mal qui ronge l'Occident parait être un de ses thèmes de prédilection (cf son dernier "le ruban blanc").

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  11. Un film qui m'a marqué... La scène finale sur le bateau est insupportable et pourtant on ne voit (bien sûr) rien...

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  12. ... ou l'art de la suggestion ;-)

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  13. Un film génial et intelligent. J'adore !

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